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Inventaire avant liquidation

[Manque d’esprit de suite et de “discipline de soi”]

29 Août 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #52 : Nerveux

    Au 5, le manque d’esprit de suite, on trouve une série de rubriques redondantes : “toujours appliqué au travail dans sa fonction”, 7,5% pour une moyenne de 56,4, et 99,15 aux flegmatiques. En outre, “nous” négligeons les travaux imposés (41,4, Fleg 2,1, Moy. 19,3), ajournons (81,1, Actifs entre 9,7 et 14,7, Moy. 46,6), et nous décourageons facilement (52,9, Fleg. 9,1, Moy. 30,8) : des chiffres écrasants, et que je trouverais hautement significatifs si le classement en A/n-A ne résultait précisément des réponses données à ces questions. Ce qui m’étonne le plus là-dedans, c’est ce 99% de bœufs de labour, ou seulement 56, qui le croirait? Tout ce que je peux dire, c’est que le seul milieu pro qu’il m’ait été donné de voir de près, l’enseignant, ne doit pas comporter beaucoup d’actifs-secondaires! Mais ma conviction demeure qu’ils bosseraient davantage s’ils étaient mieux payés, moins vilipendés, et surtout s’ils avaient l’impression que leur boulot sert à quelque chose. Actif-secondaire quand on se sent inutile et mal-aimé, hum.

    Je ne tiens pas à être plutôt “nerveux” qu’autre chose, persistant à penser que cette classification n’est pas la bonne, et que lorsqu’on parle de “travaux imposés”, notamment, il faudrait au moins les distinguer selon qui ou quoi vous les impose, force des choses ou patron! De toute ma “carrière”, je n’ai quasi-jamais reçu d’ordre, vu que j’en faisais de mon chef trois fois plus qu’on n’eût jamais songé à exiger, précisément pour n’avoir pas à obéir, ce qui pourrait bien trahir une propension refoulée à la soumission. « Fais [-moi] ci, fais [-moi] ça » m’a toujours été intolérable, même au sein du coït, et désirant pourtant savoir ce qui plaisait à Nénette; dans certaines boîtes privées, je n’aurais pas tenu l’espace d’un matin. Il me semble qu’aborder le travail salarié sans se pencher sur les relations humaines qui le conditionnent, c’est se condamner à ne pas serrer les questions importantes. Cela étant, il faut noter que tout travail, y compris celui que je m’impose, relève pour moi de l’obligation, et que même faire les choses sans délai (quand j’en suis seul maître) pourrait s’interpréter comme réaction contre une tendance naturelle à la procrastination : agir tout de suite, de peur de ne pas agir du tout. Mais c’est aussi et surtout que dès lors qu’on a un peu glandé, on a manqué la perfection.

    Les nerveux sont légers (60,9 pour 44), conçoivent de grands plans (non poursuivis) (41,4 pour 18,5), et s’avèrent, comme il irait sans dire, peu persévérants (23,6; Fleg. 67,7; Moy. 40,9) : 23,6% quand même, alors que la persévérance nous est donnée pour caractéristique de l’activité! Mais sans doute ces persévérants-là le sont-ils par devoir. Quant aux “grands plans”, régissant ma vie entière à partir du lendemain, je les retrouve à toutes les époques : le projet a le plus souvent servi pour moi de prélude à l’inaction, et ce qui frise la démence, c’est de pouvoir imperturbablement s’entêter à en bâtir, quand on devrait se rendre compte qu’ils n’aboutiront jamais à rien. Mais ce qu’on grave sur le sable, n’est-ce pas, est vite oublié… Et puis, à rien, comment l’entends-je? Il m’est bien arrivé, la volonté serrant les dents assez longtemps pour créer une habitude, de persister dans quelques entreprises, et même, parfois, d’en venir à bout; le problème est que le résultat ne m’en satisfait pas, rien ne me restant en tête de l’apprentissage forcé, que ce soit du chinois ou de la psychanalyse, “les yeux assis dessus mon livre”, et le roman que je me force à écrire en bâillant se révélant immanquablement exécrable. On peut à la rigueur, à grand-peine et ahan, piocher quinze heures d’affilée; mais on n’y fait rien qui vaille si un zeste d’inspiration et de désir ne vient pas relayer la pure contrainte. Est-ce que ça vaut pour tous, ou seulement pour l’hyper-émotif? Je demeure (projectivement) persuadé que le pitoyable rendement de l’école vient d’abord de l’ennui qu’elle distille, lequel s’aggrave à chaque réformette qui, rognant sur la liberté des profs, les oblige à enseigner des trucs dont ils se brossent le nombril, et qu’il n’existe pas un “flegmatique” assez imperturbable pour tirer profit de ce qui l’emmerde.

    Les nerveux sont, d’autre part, faciles à convaincre (40,8; Fleg : 2,5; Moy. : 17,7), ce que je n’illustre guère ici, mais qui me paraît “notre” première qualité – si l’on veut bien l’appeler écoute. Marrant de constater que lorsque j’ai un crayon à la main, les marges d’un livre semblent dévolues au regimbement, alors que je me surprends tous les jours à être de l’avis du dernier que j’ai lu, comme si la distance critique m’était étrangère, et si j’allais sans relâche d’une identification adhésive à une autre. Ça ne se voit pas, parce que, dans la vie, sur les sujets qui m’intéressent, l’opinion des bipèdes que j’ai l’occasion de croiser, en général aussi sotte que prétentieuse, péremptoirement collée à des positions dépassées depuis longtemps, et dont ils ne veulent pas démordre, ne me permet pas de faire démonstration d’instabilité. Et d’autre part parce que, lorsqu’on est d’accord avec un bouquin, il suffit d’une croix, d’un “oui” ou d’un “OK” pour le signaler. Mais sur des sujets qui me tiennent à cœur, comme les N.D.E. ou le Linceul de Turin, je n’ai cessé de passer d’une opinion à son contraire, avant de céder à la lassitude, favorable au statu quo ante : il se pourrait bien, en effet, que les versatiles fussent aussi statiques que les butés.

    Le chapeau “manque d’esprit de suite” me paraît doté de très larges bords : on peut certes parler d’opiniâtreté dans l’effort comme dans la pensée, mais l’usage du même mot ne constitue en rien une preuve d’homogénéité. Je suis, encore une fois, “d’une suite enragée” en ce qui touche mon activité principale, qui n’a reçu que de faibles et sporadiques encouragements, et aucun depuis Anne, il y a quatorze ans; mais l’espoir clignote encore qu’on me lise un jour, et puis, comment passer le temps? Je crains que cette Vocation ne soit devenue, ou redevenue, un pis-aller, voire une simple apparence, étroitement surveillée par un déconnogramme qui a pris le relais de mes obligations salariées, et sans lequel je coulerais de ma boîte, et irais emmerder les gens, qui ne veulent pas de moi. Il faut bien admettre que de ce trait, disons de cette tare, les trois paramètres fondamentaux rendent assez bon compte : émotivité, qui m’interdit tout travail qu’elle n’irrigue pas; flemme naturelle, qui rend la persévérance impossible; primarité surtout, qui  me lance dans des toquades successives, dont je me déprends aussi vite que je les ai embrassées. Mais qu’aurai-je expliqué par là? Rien. Et je n’aurai exploré que les surfaces, ne soufflant mot ni de ma fuite devant l’inspiration, ni du vide constitutif de mes “passions”, et d’une dépendance histrionique totale qui se déguise en autarcie. 

    Le 6 porte, sous un titre quelque peu charabiesque, Manque de discipline de soi, trois caractéristiques plus ou moins floues : sexualité déréglée  (16,1; max aux amorphes : 21,4; Fleg : 2,1; Moy. 8,2), dépensier (59,2, Fleg. 30,1; Moy : 45,2), impatience pendant les maladies (40,2; Fleg : 13,4 (min); Moy : 24,4) « C’est évidemment ici le défaut de secondarité qui manifeste son influence, car elle manque au caractère nerveux que son émotivité et sa passivité rendent plus sensible aux tentations et plus faible devant elles. »

    Mouiiii… Fâcheux tout de même de ne voir citées que les “faiblesses” qui cadrent : l’enquête comportait une question sur l’ivrognerie, et une autre sur l’addiction aux plaisirs de la table, qui présentent l’opposition la plus tranchée entre la jouissance immédiate et sa rançon à long terme, et Le Senne aurait assurément cité les chiffres si les nerveux approchaient du maximum. Il est par ailleurs bizarre que, les plus dépensiers, ils ne soient pas les plus endettés (12,4%; Amorphes 19,4; Moy. 5) chiffre qui plaiderait davantage en faveur de la poudre aux yeux que de l’imprévoyance réelle que l’auteur met en avant dans la partie systématique : « Qu’est-ce qu’un jeton métallique ou un morceau de papier, c’est-à-dire une pièce de monnaie ou un billet de banque [Merci!] en comparaison avec la qualité désirée d’un objet ou d’un plaisir que cet argent permet d’acheter, quand l’imagination intervient pour les parer de toutes les couleurs que l’émotivité suggère? Aucune secondarité n’y fait obstacle en rappelant l’utilité certaine de cet argent pour les besoins vitaux. Aussi à moins qu’ils ne soient très riches, ce qui peut ne pas durer, ou que leurs affaires, comme celles de Mozart, ne soient surveillées par un autre, les nerveux sont dépensiers et exposés à se ruiner par leurs dépenses. – Il convient de souligner ici la différence entre les inactifs et les actifs primaires. Les colériques, ainsi Victor Hugo, surtout les sanguins, par exemple Voltaire, Bacon, Talleyrand gèrent très bien, parfois trop bien, leurs affaires d’argent : cela rentre dans l’extension de leur esprit pratique dont les nerveux sont gravement privés (q.29, 1° : esprit pratique, nerv., 41,9 (min); sang., 81,1 (max.). » La primarité ne serait donc pas responsable d’un comportement dilapidateur, comme le voulaient les images reçues de la première phrase. Moi qui jugule assez aisément l’attrait des objets, je ne me dépars pas d’une certaine admiration pour les gens qui n’écoutent que la dictée de leurs désirs et ne regardent pas à l’étiquette! Mais quelle proportion, parmi ces prétendus nerveux, d’histrions à la dépense purement ostensive, voire ostentatoire? Je fus longtemps de ceux-là (dans la mesure de mes moyens), sur la trace de mon père, qui ne nous filait pas un sol d’argent de poche, mais était rarement battu au petit jeu de dégainer son portefeuille le premier dans un bar. Si, faute de pécune et d’authentique munificence, dépenser sans compter ne fut jamais mon fait, je ne mégotais pas sur les écots et les cadeaux : destination autrui, à condition d’un vol retour, au moins sur Air-Gratitude. Le tarissement des ressources et la peur de manquer, donc de dépendre, m’ont enfermé dans une avarice un peu spéciale, puisqu’elle épargne les objets qu’on garde, qui resservent, et surtout ceux qu’on trouve au rabais, ne valussent-ils rien, comme désormais les livres et les disques, et d’autant rien qu’on choisit le rabais contre la qualité. C’est d’abord sur ce qui disparaît à la conso que j’ai rogné, la bouffe au premier chef, les voyages, et, sans aller jusqu’à expliquer entièrement par là ma solitude, il est hors de doute que le coût des relations humaines y a joué son rôle :  il me défriserait de payer pour un commerce qui ne saurait me colmater les brèches que s’il est au moins gratuit, mais je détesterais vivre aux crochets d’autrui, depuis que j’ai compris qu’aucun talent ne m’y ouvrait droit. Bref, je n’arrive pas trop à me classer, sinon dans un sous-ensemble de nerveux mesquins. Je ne sais trop ce que va devenir la ligne de budget Dons & aumônes, ouverte à tout hasard pour éviter l’enfer, comme celle de l’huissier Malicorne de Marcel Aymé (“J’ai, spontanément, augmenté de 50 F par mois ma servante Mélanie, qui est pourtant un souillon”) et plutôt vouée, ce me semble, à attiser le feu, mais il ne me coûte pas à ce point d’arroser – maigrement – l’UNICEF, Handicap International ou les mendigots de rencontre : c’est la blessure narcissique des mauvaises affaires que je redoute et qui me recroqueville. Les rapports avec l’argent me paraissent en tout cas trop complexes pour mettre une réticence à la dépense sur le maigre dos de la prévision à long terme et de la secondarité.

    Quant au reste… les deux ans écoulés m’ont révélé mon “impatience pendant les maladies”, même imaginaires, mais pas le rapport avec de quelconques tentations. Ce que je reproche aux maladies, en attendant la souffrance qu’elles ne m’ont infligée que bien bénigne jusqu’à l’heure, c’est le temps, et surtout le contrôle qu’elles font perdre : aucune combinaison des trois propriétés ne peut me donner ça. Quant à la sexualité déréglée, qui donc est visé? Ceux qui se passent de consentement, qui bravent les MST, enjambent la limite d’âge légale, s’en tapent plusieurs à la fois, ou une nouvelle chaque nuit? Dans le questionnaire, elle est opposée à la continence, qui n’a de raison d’être que médicale ou religieuse. Je crains que les critères, de toute façon, ne puent fort la poussière, et qu’on n’épingle ici tout ce qui outrepasse une chaste monogamie… Quant à moi, à part l’abus occasionnel de branlette… disons que le corps du délit manque. Aurais-je eu une sexualité déréglée si l’on avait voulu de moi? Rien n’est moins sûr : dans les quelques bains d’amour que j’ai connus, classes de quatrième ou groupuscules de latin, le désir dépérissait, pour ne renaître qu’au sein du manque.

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