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Inventaire avant liquidation

[Un ratage programmé]

26 Juillet 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #42 : Cacatalogue II : Heptamerdon

     Ouais… Pas de quoi se mouiller les braies. Et question rigolade, je ne trouve pas mieux. Des répliques, soit, ça et là, pas une scène. Quant à un exemple d’action, pas folle envie de tout relire, ni seulement refeuilleter… Peut-être la rencontre, devant La Démone, à la lisière de la Beauce, de Villemonteix, le photographe que Buû soupçonnait d’avoir noué en douce une amourette avec sa dulcinée? Pur délire parano, apparemment… bizarre coïncidence tout de même de le retrouver là, que la venette évidente du vis-à-vis rend suspecte… Il semble s’avérer cependant qu’il ne craignait que d’être descendu lui-même par un assassin. Explications… moyennement sincères, du moins côté Buû, puisqu’il prétend s’appeler Mardrus – Les Mille nuits et une nuit servent de grimoire de référence, comme au pire vieux temps des Fonds de cercueils, à cette indigne ripopée, dont le décousu a bien besoin d’un garant – et qu’il a bien des choses à cacher. Ce que dissimule l’autre, on n’en saura rien, mais il révèle à l’inspecteur que son Hélène, en fait Nadège, qu’il a tout de suite reconnue (« Je n’oublie pas un visage, surtout si photogénique ») a 17 ans, non 21, et qu’elle a été internée, deux ans plus tôt, suite à l’empoisonnement de ses parents : ce point-là n’est pas neuf. Ils vont examiner la baraque de plus près, et “Mardrus”, arguant de ce qu’Hélénadège pourrait y agoniser, manifeste l’intention de s’y introduire : l’autre, plus prudent que curieux, décline de l’accompagner, mais accepte de lui “faire la courte”… et revient plus tard, Buû ayant essuyé les plâtres et ouvert une fenêtre sur le jardin. Les voici installés tous deux à passer en revue les albums de photos…

« Vous ne remarquez toujours rien? »

    Finit par horripiler, le Père Spicace, avec sa voix veloutée!

 « Je remarque un tas de trucs, et plus que vous, qui sait? Mais si ça vous dit de faire un cours, je suis tout ouïe!

– Non, commencez, commencez!

– Je trie mal la part du préjugé. De toute façon, le genre est conventionnel, on ne fait pas clic devant une crise de nerfs…

– Et quand on s’y est autorisé, on ne colle pas les épreuves dans l’album de famille…

– Alors, objectivement, ils ont l’air assez isolés, puisqu’il apparaît assez peu d’étrangers au groupe familial étroit, mais là encore, allez savoir s’il ne s’agit pas d’une sélection…

– Soit, mais votre observation demeure valide au stade de la sélection : puisque des étrangers apparaissent parfois, c’est qu’un album spécial ne leur est pas dévolu.

– Ouais. C’est d’ailleurs moins vrai du premier volume, et en harmonie, au fond, avec l’habitat choisi.

– Par qui? Pourquoi?

– Faudrait voir quand commence ce décor… Vous pensez que ce sont les bizarreries de Nadège qui les ont marginalisés?

– Rien ne nous permet d’aller si vite.

– Parfaitement! On peut s’étonner toutefois qu’elle ne se fasse pas plus nombreuse quand elle reste seule avec ses parents…

– Oui. Sauf exceptions – notables! – on ne la voit qu’avec les autres, alors que les autres se passent d’elle…

– Mais certains enfants sont réfractaires à la photo : je suis rare dans l’album de famille, et souvent grimaçant… Je n’ai pas empoisonné mes parents pour autant! au sens propre, du moins…

– Et si vous l’aviez fait on trouverait cette rareté révélatrice.

– Précisément.

– Seulement vous êtes un mâle, monsieur Mardrus, et, sans offense, pas un Adonis! Pourquoi une si jolie petite fille éviterait-elle l’œil de l’objectif?

– Le dégoût d’être objet, peut-être… 

– Bien tôt survenu.

– Je vous dis qu’elle est en avance! Remontons encore… À douze ans, elle pouvait décider. À trois, c’est qu’on l’éliminait…

– Cette décision, je ne vais pas vous l’apprendre, procède toujours d’une élimination préalable, réelle ou fantasmée… Mais remontons, vous avez raison… Je suis curieux de vérifier une hypothèse…

– Accouchez d’abord, ce sera plus méritoire.

– Le mérite m’importe assez peu; mais… vous n’avez pas remarqué qu’on ne la voit jamais avec son père?

– Sans doute qu’il est derrière l’appareil… que c’est lui, votre mystérieux artiste aimant…

– Il se montre volontiers avec les deux autres… Mais je vous accorde qu’on peut l’interpréter de deux façons…

– Ou il l’évite, ou il est le seul à la prendre…

– Cela même; et j’ignore pourquoi, je pencherais pour la première alternative… »

    Buû farfouille dans le tas, trouve un bébé… mieux observé, le garçon : mauvaise pioche; re : et le même en culottes courtes, avec Nadège à cinq-six ans, pas sublime, mais croquignolette et épanouie; c’est l’hiver, et déjà cette lugubre forêt… Les sens affûtés, ou rabotés, on néglige tout en quête d’un père-et-fille, qui se fait attendre, effectivement, mais est-ce bien significatif? Le vieux apparaît assez peu… Ha-ha! C’est une apparition qu’on demande? Tu m’as vu en âme-en-peine?

« Vous n’avez rien entendu?

– Si fait. Un craquement. Le bois sert d’hygromètre à signal sonore…

– Chchchtt! »

    Presque rien. Un spectre discret. Sans doute la mère. Buû est au palier avant même d’avoir décidé de se lever. Pas regardé sous les lits. Surtout, pas ouvert cette porte-là…

    Elle donne sur un escalier pentu comme une échelle, sans tapis, celui-là, et dont la première marche gémit à fendre l’âme; les suivantes renchérissent à qui mieux mieux. Paraît qu’il faut les clouer…

    Pas un souffle; en haut, deux nouvelles lourdes. Beau pousser et tirer, la première résiste : est-elle là-dedans? « Hélène!… Hélène!… Fais pas la conne! » aussi bas que possible, évidemment, mais en vain, car en se retournant Buû aperçoit Villemonteix au bas de l’escalier : est-ce qu’il réprime un sourire? Je l’emmerde! Et pourtant, c’est bien pour te donner une contenance que tu pousses la porte suivante…

    Cette fois, c’est la bonne, et, bien que son immense chevelure lui masque le visage, il n’y a pas de question à se poser sur l’identité du corps nu et blanc, totalement immobile au bout de sa corde… Oh, ma chérie, ma chérie… Non, blague, blague! Remarquez, je suis tenté… Faut bien déblayer la vie de Buû en prévision d’autres aventures… Possible que le mélo du mêli nous attende derrière la porte fermée; mais enfin, le fait est que cette… chambre, car c’en est une, est vide de cadavre et d’ailleurs de vivant, mais non d’un tragique plus secret… Buû est resté sur le seuil, en proie à un effarement croissant… Armoire, lit, secrétaire, copies conformes; le papier, citron sur trois murs, orange sur l’autre, n’est pas défraîchi, et le parquet miroite… la pièce est plutôt plus vaste que celles du premier… à quoi s’en prendre? Aux deux lucarnes qui seules l’éclairent? Une jolie mansarde, sans fenêtre à quoi s’accouder…

 « Énorme… » Villemonteix se creuse un moment, mais ne fait pas semblant de piger : « Quoi donc?

– Cendrillon après Spock! Pas le galetas, ah mais! Nous connaissons nos classiques! Comment, ma chérie? Mais tu as tout pareil! Grignoté sur le grenier, et en haut d’un escalier branlant! Tenez, cette cloison… »

    Gagné! Du bois!

« Qu’est-ce que vous voulez? Elle a dû éclore quand le bas était pris…

– Mes parents ne sont pas des saints, mais c’est leur piaule qu’ils auraient transférée dans les combles…

– Pour pouvoir vous le reprocher in petto à longueur de jour, et de temps en temps viva voce

– Oui, notez : c’est pas plus sain. »

    D’un seul mouvement, ils sont allés au bureau, rangé mais pas sous verre, comme s’il avait servi la veille à quelqu’un de très ordonné. Quelques stylos, ciseaux, une gomme, un paquet de Boyards; agrafée au milieu, une Vierge à l’Enfant de… de… ça me reviendra, un Italien, l’Enfant est hideux, mais la Vierge enfant… Ce que ça c- Plus tard! Téléphone!

    Les deux cambrioleurs de passé échangent un regard : franchement égaré pour Buû, éduqué chez l’autre par la Haute Fatuité; mais le plus terrorisé n’est pas celui qui le montre. Villemonteix murmure : « Des voisins… ou les flics… » se lève avec nonchalance; mais en trois pas il est à la porte, et dès hors de vue, la débandade! L’escalier, à peine effleuré, proteste pour la forme, et ne couvre que le temps d’un demi-dring la voix du téléphone… On reviendra! Buû, la trouille aux couilles, détale à son tour… Non, c’est trop bête! Il saisit un immense cabas dans la cuisine, remonte six à six, y déverse en vrac albums, dossiers, correspondances, tout le contenu du secrétaire maternel; referme icelui; un coup de manche…

    Il a déjà déposé son butin sur la plate-bande, harcelé par les sonneries inlassables, quand l’inspiration le visite : après tout, le plus proche combiné est à des distances folles… et si c’était elle… l’entendre… l’appeler! « Reviens! Reviens! » criait la trompe… Il a déjà la main en position critique; mais l’insanité de la chose réafflue brutalement en lui, il recule comme s’il s’était brûlé, saute par la fenêtre, tire la persienne pour l’œil des bois, et s’éloigne de toute la vitesse qu’autorisent vingt kilogs de documentation.

 

    Bon, c’est collé, c’est collé, et, en supprimant, il me semblerait appauvrir. Mais si l’on sélectionne un passage pareil, c’est l’intégrale qu’il va falloir donner! D’accord, ça se lit, alors que les élucs introspectives, on les enjambe. Du coup les dialogues me semblent occuper de plus de plus de terrain, de titre en titre, ou plutôt à proportion inverse de la qualité : ils poussent d’autant plus dru entre les pavés que le message se fait évanescent. Faciles à lire, faciles à écrire, ce qui ne signifie pas, hélas, qu’un auteur dramatique contrarié sommeille en moi. Mais on reviendra sur mon théâtre, si la vie se prolonge assez. Ce qui me gêne le plus, je crois, dans cette invasion des blancs, dans cette réhabilitation de l’aisance et de la paresse, c’est qu’elle aille dans le sens des inlassables exhortations d’une Kapok (l’unique lectrice, peut-être, de ce machin, que je relis sur écran, n’en ayant pas effectué l’ombre d’un tirage) à desserrer l’exigence, à me laisser aller, où j’avais peut-être tort de ne voir que l’invite à faire comme elle. Mais suffit. Ce compte-rendu s’étire déjà sur plus de 65000 caracs, plus que n’en compte celui de Du plomb, que j’estimais assez réussi! La fibre se distend, le filtre laisse tout passer. Et au surplus le commentaire ne cesse de s’amincir, laissant toujours plus de place aux citations. Assez traîné ce ratage, ressenti tel dès que l’historiette grincemarrante a voulu se muer en roman, et qu’elle est vraiment partie à l’aventure, alors que la plupart des autres étaient dotés de canevas provisoires, constamment irrespectés, mais remis à jour : l’ébauche de La mort est mon berger ne comportait pas de chambre à gaz, mais Torpidon y était coupable dès sa première apparition. Ici, jusqu’à la fin, j’ai écrit vraiment au hasard, mettant douze fers au feu, et, changé en lecteur, il m’est impossible d’accorder ombre d’intérêt, ingénieuses ou non, à toutes ces galipettes et volte-face qui se multiplient à mesure qu’on avance, et culminent en invraisemblance dans l’épilogue : on n’y croit pas, et surtout on s’en fout complètement. Mon problème, me semble-t-il, et qui s’est aggravé depuis que sévit le déconnogramme, c’est de ne pas laisser décanter. Je n’y parviens que dans l’impasse, et la décantation sert alors de prélude à l’abandon.

    Et puis, mauvaise explication et pire excuse, autre chose que cette rédaction m’accaparait alors l’émotivité : ça se lit dans le bouquin lui-même, en début de III, où Buû, enfin largué par sa belle mineure, en profite pour perdre quelques kilogs :

 

Il s’est jeté sur le divan, téléphone à portée, et ne s’en extrait péniblement que pour boire un demi-verre d’eau ou le restituer. Il faudrait donner cette durée à sentir, ce mêlement du rêve et de la cogitation sans issue, cet enracinement des fesses et du dos, qu’on finit par ne plus distinguer de la couche, mais on sauterait le passage, et en outre je pète le feu en ce moment : l’imprimerie vient de me livrer 2000 exemplaires de Papa, dessine-moi un coupable!, la sueur goutte encore du transport des cartons,  et ils sont beaux comme tout,  au lieu des  merdes que je m’étais entraîné à attendre : certes, ça ne change pas un poil de la face moche du monde, l’euphorie va retomber, mais quand Buû reviendra à la vie, et après une guillerette page de néant, vous êtes bons, je le sens, pour une relance avachie! Il faudrait calculer précisément pour être en phase, ou que les humeurs de mon alter-ego se substituassent aux miennes : pas évident, surtout quand une semaine de roman s’étale, à l’écrire, sur un mois et demi… Bon, ton journal, hein!… O.K.! O.K.! Juste pour dire…

 

    D’emblée, Hélène, Hélène, Hélène! a tenu du bouche-trou, et toute sa rédaction a été scandée par les souleurs de ma correspondance avec Sabrina, de l’imprimerie Durand. Les palettes de Papa! sont arrivées le 13 décembre (un vendredi, tiens tiens!), au 43ème jour de rédaction, et les 6000 autres le 27 janvier, après levée des barrières de dégel, annoncées pendant quinze jours pour le lendemain : j’imaginais mes chers bouquins nageant dans la neige, détrempés, illisibles, la bagarre avec le camionneur, le procès… La perspective d’en balancer sept sur huit à la décharge vingt ans plus tard, c’est curieux, ne figurait pas au catalogue des angoisses… L’étonnant n’est pas que ce bouquin soit nul, mais que j’aie eu la constance de le finir, et même de le commencer, la démarche autoéditoriale étant décidée dès Quand se fissureront, et mes quatre Évangiles désignés avant le premier mot de ce petit dernier, simple occupe-doigts sur lequel je ne me suis que trop étendu. Les échecs, je le répète, ne prouvent rien : c’est seulement quand on n’a connu que des échecs qu’on a du souci à se faire.

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