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Inventaire avant liquidation

[« Tu le fais exprès! »]

18 Juillet 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #25 : T'es maso

T’ES MASO

 

     Ce n’est pas d’un cœur très serein que je finirais par attribuer ma solitude à un manque d’attraits, aggravé par un défaut d’avances, et un excès d’exigence touchant les rares avec qui s’opère un contact. Certes, je suis vieux, laid, peu disposé à la dépense “pour qui n’en vaut pas la peine”, ignare en matière de “vie pratique”… prise en un sens si large que le moindre accroc à la routine se mue en problème ardu. Au surplus, à supposer que la persévérance ait fini par me donner quelque savoir ou talent, ils seraient de ceux qui laissent indifférents famille, voisins, et promeneurs d’Internet. Brochez là-dessus l’absence de relations obligatoires (celles du travail, les seules que j’aie jamais eues), et la terreur du rejet qui paralyse les premiers pas : si fort que je m’étonne et m’afflige en secret qu’on puisse négliger un causeur/épistolier aussi intéressant, l’état d’ermite ne m’en paraît pas moins découler des données. Je crains qu’il ne reste plus que la décrépitude et les infirmités pour me socialiser, et, si je ne me décide pas à prendre un raccourci vers le néant, les compagnons de mon vieil âge risquent de n’être pas de mon goût.

     Mais enfin la solitude ne date pas d’hier, même si la retraite l’a radicalisée; et j’ai beau savoir et protester que je ne la désire pas si absolue, et m’accommoderais bien de quelques hôtes, amies et correspondantes, combien d’étrangetés, dans les chapitres qui précèdent, donnent l’impression que ce type le fait exprès! Elles me la donnent à moi-même, c’est dire : à commencer par les violences verbales, qui ne répondent pas toujours à ce mépris qui m'agresse chaque fois que je mets le nez dehors, mépris auquel, s’il n’est pas imaginaire, je suis de toute façon trop sensible, et devrais répliquer autrement. Si, dans le feu de l’action, la seule conscience qui instruise à charge et à décharge n’hésite guère à trancher en sa propre faveur, il n’en va pas de même après coup, surtout quand, l’échange étant passé par l’écrit (et c’est le cas pour la grande majorité des querelles irréconciliables), il ne manque pas une ligne à la doc. Comme il est moins humiliant d’avoir provoqué que subi une rupture, la seconde lecture n’est peut-être pas plus crédible que la première; reste que j’en ai trouvé de belles dans mes archives, chaque fois que je les ai consultées juché sur sur la conviction de n’avoir fait que me défendre : je n’en reviens pas que telle ou telle classée insupportable emmerderesse, ou d’une susceptibilité morbide, ait pu endurer tant d’algarades avant de m’en rendre la monnaie; quant à l’affront qui me fit péter les plombs, force m’est de confesser que sept fois sur dix, il n’y avait pas matière à s’échauffer : que m’ont fait exactement Anne, Zoé, Céline, Sophie-Charlotte, voire Kapok? Et n’ai-je pas régulièrement commencé, par mettre en œuvre des visées thérapéducatives, qui, se proposant le perfectionnement d’une relation, ont d’ordinaire abouti à son naufrage? Me frappe aussi, et pas si subsidiairement, l’outrance des éloges et des protestations d’attachement qui déferlent à la moindre esquisse de bon procédé. Ils sont rares, soit, et méritent d’être célébrés, mais à quoi ça ressemble, franchement, de balancer à une fille qui s’est simplement montrée moins rogue que d'hab', et laissé casquetter “présidente” de mes mains, mais a déjà éludé une déclaration : « Tu vas voir quel merveilleux couple nous allons former », etc? Est-ce que je le croyais? Saugrenu. Le désirais? Si peu. Bon, admettons un pathétique besoin de présence humaine, mais outre que trop demander, et trop tôt, constitue le meilleur moyen de la mettre en fuite, je ne suis pas bien sûr que ce besoin soit toujours là quand, surpris par une lettre inattendue, aimable ou simplement polie, je surenchéris démesurément, submerge de louanges et d’espoirs insensés un interlocuteur qui ne me répondra que par le silence, de sorte que je ne saurai même pas s’il s’est effrayé de la tâche, garé d’un maboul, ou vexé de compliments perçus comme ironiques. Il me suffit de quelques courriels étriqués et banals pour célébrer comme l’âme-sœur… Leïla, qui ne tardera pas (et sans plus de garantie) à se révéler la pire des mégères, ou que Zigatine accepte de conformer une photo à mes instructions pour que je lui réponde par retour : « Je suis ton esclave » – déclaration noyée, et va-t-en savoir si c’est atténuant ou aggravant, dans une immense bafouille qui, ne cédant sur aucun point, semble attester que je me paie sa tête : cette fille surgie du bleu disparaîtra incontinent, sans prendre la peine de donner des raisons, et je ne suis pas si sûr que ça m’ait surpris ou désolé. Peu, très peu de gens sont ainsi venus à ma rencontre, mais il me semble leur avoir systématiquement fait subir une variante de ce que M. de Charlus appelait l’épreuve de la trop grande amabilité. À moins qu’ils ne me parussent d’emblée condescendants, imbus de leur supériorité… et l’épreuve inverse donnait alors des résultats à peu près identiques. Tout se passe comme si, quand l’Autre paraît, cet Autre que je crois appeler de mes vœux, j’étais pris de panique devant un feu de forêt, comme s’il me fallait, dans l’urgence, le circonscrire de fossés. Une image qui n’explique rien, mais c’est aussi que j’ignore au juste de quoi j’ai peur. Qu’il me bouffe tout mon temps, ou, au contraire, ne soutienne pas mon rythme? Qu’il ignore, ou sache trop? Qu’elle soit hideuse, ou “trop bien pour moi”? Sauf quand il fait parade de ses limites, je jurerais que je m’efforce de ne pas enfermer le Gentil Humain dans une idée préconçue, de garder le possible ouvert; reste qu’il s’agit du possible par moi prédéfini; en outre il faudrait être certain de “placer tous les espoirs sur sa tête” dans un autre but que celui de les voir déçus : 

                    Oh dis-moi serais-tu la femme inespérée

                    Et le songe éternel poursuivi vainement?

     Méthode assez efficace pour se retrouver ensuite face au déficit… étant bien entendu que même si j’affecte de chipoter sur les qualités intrinsèques de l’Autre, tout ce qui m’en intéresse, c’est encore et toujours le poids qu’elles confèrent à l’attention qu’il me porte et à l’estime qu’il pourrait me vouer… De mon côté, je n’en aurai manifesté à son égard que pour le circonvenir, et ne manquerai pas de retenir à sa charge qu’il m’ait traité de même… Polop! Tout cela est exact au fond, mais schématique à l’excès, et, sans encore évoquer le “plus si affinités”, il est laissé plus que des interstices au bonheur de conversations de plain-pied sur le sexe des anges ou la théorie du ruissellement, même si le coup de pouce à l’estime de soi en fait, en secret, le seul sel. C’est de l’aval, non de l’apport d’autrui que je languis, nul doute, et il ne coûterait guère de salive à un caritatif malin de me donner la réplique, à l’oral du moins. N’empêche que sans un zeste d’apport, l’aval s’userait vite… Je me souviens d’une querelle assez rigolote, sur un sentier de la Réunion, avec un vieux beauf prétentieux dont ma frangine partagea la couche quelque temps, et qui se targuait de s’intéresser aux hommes : de fait, d’aussi loin qu’on apercevait un indigène, il effectuait pour taper la causette le détour que j’aurais fait, moi, pour l’éviter. Mais avec ça, si peu qu’un dialogue le remît en cause, il le rompait immédiatement en se piaillant insulté. Est-ce à dire que mes aspirations sont diamétralement opposées? Je crains que “vive qui me change” ne constitue rien de mieux qu’une position officielle, et, sur fond narcissique, d’avoir surtout cherché, moi aussi, à éviter les perturbations. Je ne prétends pas jubiler, quand je me décide à laver la tête d’une qui dès son second courrier, m’a demandé d’en écrire moins long, ou lorsque, me sentant tout à coup étranger à une fête où je ne suis pas fêté, je me dirige à pas de loup vers la sortie; mais la désolation s’accompagne d’un sentiment de délivrance, et presque à chaque rupture il en va de même – rompre, certes, nous préservant d’être rejeté, l’espoir d’être rappelé ou regretté clignotant dans la pénombre… mais la solitude étant, somme toute, à la fois moins risquée, moins compliquée, plus fructifère, et moins humiliante : avoir besoin d’un être vous place dans sa dépendance, qui m’est difficilement supportable, surtout en l’absence de réciprocité, et d’une justification dudit besoin par une valeur sans valeur, comme la beauté [1]. L’autre en général et certains en particulier exercent sur qui n’existe pas par lui-même un pouvoir absolu, donc constituent, espoir et menace, une source d’émotion souvent pénible et toujours stérilisante dans le contact direct : à ce dernier, en dépit de ses charmes et facilités, je préfère la sécurité d’un public qui n’aurait accès qu’au moi épuré de l’écrit. Si seulement je parvenais, sans aide et durablement, à poser un regard favorable sur l’objet intermédiaire qu'est l'opus en cours, je n’aurais, il me semble, plus aucun besoin de personne. Il n’y a pas apparence que je conquière une telle autonomie; mais si j’ai des raisons de présumer qu’un être m’aime, m’estime ou m’admire, l’envie de le voir s’efface, puisque je ne peux que perdre à une révision.

 

[1] On touche peut-être au sophisme, là, mais je me sens effectivement moins dépendant quand un joli minois (même si je n’ai “aucune chance”) sert d’excuse au bonheur que me donne un commerce.

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