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Inventaire avant liquidation

[De Bidonville à Vézy-le-Gros]

27 Mai 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #51 : Parcours de santé II - Conversion?

    Que mon emploi du mot soit ou non académique, c’est le cadet de mes soucis. Ce que j’ai en horreur, on l’a compris, c’est cette idée que le symptôme puisse échapper à tout contrôle, que ce soit de ma raison ou de ma folie. Le symptôme physique, s’entend : chaque parole que je prononce, et jusqu’aux lignes que je trace ici, peuvent se lire comme symptômes, on sait bien que je le sais, puisque je ne cesse de le répéter, et de commenter le commentaire du commentaire, sans manquer d’ajouter que je ne devrais pas, ce qui contribue à me rendre illisible. Et cela même est symptôme. Mais tant qu’on cause, même si pas un humain ne vous lit, on a quand même la ressource au moins théorique de se répondre, de faire avancer le débat. Dès qu’un langage non-verbal entre en danse, la donne change. On a coutume de se fier aux indications données par ses propres sens, et de relier la souffrance physique à une cause, connue ou non. Qu’un “pouvoir” occulte, en moi, fasse d’elle un moyen d’obtenir des égards, de l’amour, de me faire pa-ou-materner, ou, dans l’option masochiste, d’être objet de mépris, de ridicule et de pitié (ou de justifier un suicide, mais jusqu’à présent on n’en voit pas la couleur), cela ne me choque en rien, la pensée de Freud est centenaire à présent, et quand je passe une bonne heure par jour à chercher des noms que je devrais avoir “sur le bout de la langue” ou des objets que j’ai fourrés n’importe où, voire à me demander de quoi au juste je m’étais mis en quête en levant mon cul de mon fauteuil, mes investigations ne tardent pas à s’aiguiller sur les instances secrètes qui me bloquent la mémoire – dans le but, me semble-t-il le plus souvent, de m’empêcher de travailler, donc d’avoir à contempler les pitoyables rejetons de mon “pénis fécal” – mais on peut aussi admettre la version inverse de “l’ennemi dans la demeure” : que la culpabilité, ou simplement un Surmoi hostile aient pris les commandes, et m'empêchent de faire mes preuves. Mille et mille fois j’ai noté que l’oubli est aussi labile que le souvenir, et que pour retrouver le nom perdu, il suffit souvent de la proximité d’une source de renseignement : il a toujours été là, dans un coin, et se présente, quand il pressent qu’il lui sera sous peu inutile de se cacher. Il suffit de cliquer “Wiki”, ou seulement de s’y disposer, et deux trous sur trois sont comblés – à l’ordinaire sans gêne aucune, voilà bien ce qui cloche dans les explications freudiennes.

    La souffrance morale, je pense surtout à celle d’être abandonné par l’être qu’on aime (ou qu’on se prend à raimer du seul fait qu’il vous jette) peut être lancinante, et vous dégoûter de la vie pour un bail; elle est déroutante quand on la met en regard de la qualité de l’objet (même s’il ne joue que le rôle de faire-valoir et de reflet projectif), et paraît parfois, bien qu’elle ne soit elle-même qu’autosuggestion, résistante à l’autosuggestion. Qui n’a connu ces moments, au sein d’un deuil amoureux intense, où l’on a, au réveil par exemple, comme égaré son chagrin ainsi qu’on ferait son portefeuille? Mais qu’un élément, favorable ou hostile à mon bien-être, soit capable à mon insu de déclencher la douleur physique, de mettre en scène une imitation (sans témoin, même si c’est, en fin de compte, pour en obtenir), et tout l’édifice vacille. Il est indéniable que lorsque je m’impose des régimes de famine, je me sers de mon corps dans le but assez vaseux d’exciter la compassion ou l’admiration, sous couleur de fuir l’obésité. Mais il s’agit de démarches sinon raisonnables, du moins conscientes, ou qu’il n’est pas malaisé d’appeler au jour. Le contrôle inconscient de douleurs aussi vives que celles qui m’avaient ramené aux Urgences pour la seconde fois, ne m’entrait pas dans le ciboulot, et en toute logique, il aurait dû cesser, à présent que je voyais la communauté médilocale me tenir pour un malade imaginaire, qui choisissait tous les ans l’époque des fêtes pour rappeler qu’il existait : on ne me l’avait pas dit en forme, on s’était contenté de l’insinuer gentiment, en feuilletant mon dossier. Un besoin de pitié me serait-t-il né pour compenser les talents enf(o)uis?

    Je persistais à m’insurger, ça va sans dire. J’avais pu oublier ma dose quotidienne de dutastéride, et, au lieu de la renouveler, envisager avec une équanimité ignare de me faire coller une sonde; mais avais-je, scrogneugneu, secrètement désiré qu’aucun soignant ne m’avertît des souffrances point négligeables, et, elles, répertoriées, qui allaient accompagner les “poussées” irrépressibles? N’était-il pas normal d’y retourner, pour au moins vérifier si tout allait bien? Comment me serais-je alors donné une chiasse tout seul? me serais-je ensuite verrouillé l’anus pour une semaine, laissant les bêtes du zoo se déchaîner à l’intérieur? Mais j’avais beau enfiler sans trêve les questions oratoires, mon éloquence venait toujours s’achopper là : mon plus gros bobo de l’âge adulte avait été effacé, d'un coup de gomme, par un peu de gentillesse, de courtoisie, par une forme de reconnaissance, même si c’était celle d’une imposture inconsciente.

    Il fallut me tenir à quatre, mais, le lendemain matin, je ne soufflai mot de mes doutes, ni surtout de l’opinion de ses confrères, à la radiologue, du moins avant la séance. À peine m’eut-elle tartiné de gel et posé sa sonde sur le bidon : « Hein! » rugit-elle. » Mais votre vésicule biliaire est énorme! Et vous vous étonnez de ne pas digérer, avec ça! » Je regrette de ne pas disposer du son : au ton accusateur, on eût dit que je j’avais sournoisement gonflé ledit organe à la pompe. D’ailleurs, bien qu’informée de la grève décrétée par la Confédération Générale de mes Intestins, la maritorne n’en vitupéra pas moins, aux confins du reproche et du soupçon (« Zêtes sûr d’être à jeun? »), le “météorisme abdominal” qui l’empêchait d’observer le pancréas, et divers autres lieux à risque : son papier s’en ferait l’écho. “Sans obstacle lithiasique décelable”, me prévint-elle, ne valait pas relaxe : les indécelables passaient entre les mailles : pourquoi un hydrocholécyste, du reste, si les canaux cholédoques ne sont pas bouchés? « Mézalors, balbutiai-je, est-ce que ça n’expliquerait pas une douleur intense qui, le calcul passé, se volatilise d’un coup? – C’est très probable. » Pas possible, probable : la route du manicomio, où je roulais à fond les manettes, semblait donc bifurquer, en attendant pire, vers le triste patelin de Gros-Vézy, que de ma vie je n’avais approché… À la lettre, ni mon foie ni ma vésicule, à l’issue des bombances ou beuveries les moins mesurées, ne m’avaient donné le moindre signe de vie direct en 65 ans et demi. Et voici qu’un organe dont j’avais à peine entendu parler… chez les autres, venait m’enquiquiner au bout de douze ans d’austérité! Non qu’il fallût absolument gommer un zeste de pithiatisme : disons juste que mon corps, en assumant le mal, le jouait à sa façon : lourdingue avec les incrédules, rieur avec ceux qui savaient – pas si rieur que ça, du reste, à la prochaine crise! En attendant, moi qui doublais tout le monde un mois plus tôt, je marchais presque aussi lentement, au sortir du cabinet, ma patente de vrai malade en poche, que mon père avec déambulateur, tout en me demandant s’il ne serait pas préférable de sauter à la corde, pour que le calcul fantôme consentît à déboucher le Belle-Mort Kanal.

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